Art&Roll Academy

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« Aide-toi toi-même… »

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A l’occasion de la grande répétition générale avant la rentrée de Septembre, nous avons pensé à Art&Roll Academy dresser à l’intention des musiciens du Maroc, un panorama, un état des lieux, une carte de la filière musicale marocaine susceptible de les aider à appréhender leur carrières respectives de la manière la plus réaliste possible.

 

Voici donc le premier volet de cette série d’articles qui, ainsi que nous l’espérons, permettront à nos cadets de mieux anticiper, préparer avec une visibilité accrue, un surcroît de méthode – voire de sérénité – leurs avenirs musicaux personnels comme collectifs…

 

 

 

               1 – La mission, si vous l’acceptez…

 

Dès avant sa création, Art&Roll Academy, « l’école de musique mobile », fut conçue comme une plate-forme permettant aux musiciens de ce pays de fédérer leurs ressources afin d’acquérir progressivement les logistiques nécessaires à la pratique de leur art, dans le but ultime d’en vivre. ÆRA naquit ainsi à l’issue d’un double constat simple : nous (musiciens marocains) sommes d’une part les dépositaires de nombreuses traditions musicales qui constituent en quelque sorte notre trésor, & d’autre part, devons admettre que personne ne saura mieux nous aider à le faire entrer dans le 21e siècle – ni l’y rendre convertible – que nous-même. Ceux qui possèdent l’argent ou en ont le contrôle, sont totalement incompétents pour cette mission, et ceux qui détiennent les talents doivent donc s’élever au niveau du challenge : ils devront nécessairement apprendre à capitaliser, imaginer & construire par leurs propres moyens (souhaités collectifs, car l’union & la complémentarité font la force) les ressources qui leurs permettront de créer, organiser leur filière musicale. En effet, le temps presse & tout ne sera pas toujours aussi aisé qu’il puisse paraître actuellement. Le printemps de la musique marocaine se doit de préparer un été le plus radieux possible.

 

Ainsi donc, il revient à la communauté des musiciens de se doter des moyens – logistiques & autres – indispensables à l’exercice de leur profession, ainsi qu’à l’évolution au sein de cette profession, étant établi qu’aucune aide publique ou privée pertinente n’est à espérer dans quelque domaine que ce soit, avant d’avoir obtenu de probants résultats. En clair, il revient à tout artiste (ou collectif, groupe) en général de « décrocher la Lune » avant que le Soleil lui(leur) fût offert sur un plateau. Les débutants devront se débrouiller, dans un environnement peu favorable, à se procurer le matériel (le plus facile : ce n’est ‘que’ de l’argent), ainsi que la salle de répétition (beaucoup plus compliqué). Les novices devront faire preuve de leur motivation par leur créativité à surmonter les obstacles dans l’obtention de gigs (d’abord gratuits, puis rémunérateurs) dans les restaurants/salons de thé/clubs sportifs etc . Ainsi, lorsqu’ils seront un peu plus confirmés, les salles & cachets grandiront de concert, ouvrant la porte à de meilleures conditions d’enregistrement, l’emploi d’un véritable ingénieur du son, quelques musiciens additionnels lorsque cela s’avère opportun (les mieux élevés renverront l’ascenseur, à l’occasion). Puis l’accès à des festivals, régionaux, nationaux, puis internationaux, avant, si tout ce passe bien, la consécration de tournées continentales, puis mondiales dans l’idéal.

 

Sans vouloir minimiser les divers & nombreux héritages des musiciens marocains contemporains, ni renier tout ce qu’ils doivent à leurs aînés, nous pouvons sereinement situer les racines de la présente marée musicale dans la relative libéralisation douanière de la fin des années 80, qui permit aux instruments modernes & leurs amplifications de rentrer en possession de mains qui n’attendaient que cela, depuis la fermeture des bases américaines dans les 60s, puis les départs des pieds-noirs dans les 60-70s! Bref, dans les années 80, au fils des pannes & récupérations de pièces détachées, il n’y avait pas dans tout Casablanca suffisamment d’amplis pour plus de 3 groupes simultanément !!

 

D’ailleurs, il ne fallut pas attendre longtemps pour qu’il y eût assez de musiciens de talent en exercice pour que la génération Essaouira/Boulvard (pour faire simple) éclose vers la fin du 20e siècle, ouvrant un ciel totalement nouveau pour les musiciens , dont leurs aînés des 80s n’auraient même pas pu rêver… Suite à la percée des pionniers (Darga, Hoba, Jbara, Ali Faiq, Gnawa Click etc), la génération suivante, plus nombreuse dut trouver son identité musicale en revisitant des formes qui avaient fait leurs preuves globalement (Rock, Métal, Alternative, Reggae,Blues, Jazz). C’est ainsi que nous eûmes la joie de découvrir Heat Spirit (encore assez proche de ses racines), mais surtout Blues Ramblers (Blues), The Basement (Alternative), sans compter tous nos métaleux émérites & méritants, ni oublier les filles – Oum, Hindi, Samia, Khansa etc – ainsi que des légions de rappers/hiphoppers/slammers, audacieusement lancés sur les eaux tumultueuses de la musique globale, armés de leurs seuls textes/paroles en guise de carte, & leurs oreilles comme seule boussole. Tout cela est bien la preuve que cette jeunesse a des choses à dire !

 

Nous voici donc en 2014, surfant une marée de fond depuis bientôt 20 ans, dont on peut décemment espérer qu’elle ne s’essouffle pas avant 10-20 ans encore, durant lesquels elle continuera vraisemblablement à porter cette communauté de musiciens vers l’avant. Cela dit, dans 20 ans, nous n’en bénéficierons plus, et nous devrons alors faire avec ce que nous aurons accompli alors. En d’autre termes, nous avons 10-20 ans à mettre à profit pour optimiser l’impact que les musiciens marocains perçant internationalement réaliseront. C’est grâce aux mesures mises en place après les médailles de Nawal Moutawakkil & Said Aouita, que’Hicham El Guerrouj a pu être repéré si tôt, & accompagné si bien & si loin : l’encadrement était déjà compétent, détenteur d’un certain savoir-faire, des infrastructures décentes existaient, et il n’a pas fallu tout créer ex-nihilo. De la qualité & quantité de travail que nous accomplirons dans les 10-20 années à venir dépendront le nombre & la portée des identités musicales que le Maroc réussira à revendiquer comme siennes à l’échelle planétaire. Avant que la marée qui nous porte ne s’essouffle. Dans ce contexte, il convient d’appréhender la décennie à venir comme une occasion providentielle de constituer un capital, une assurance-retraite, à l’intention des générations de musiciens de ce pays qui nous suivront : Bingo! Mot compte triple ! Passez par la case Départ ! Recevez 20.000 Francs! Question :Allons-nous acheter la Rue de la Paix, ou cramons tout en boîte de nuit ?

 

Dans une tradition que nombres nous envient, nous sommes dans la situation exceptionnelle où nos meilleurs alliés (les seuls, à vrai dire) dans la construction d’un avenir pour les musiciens au Maroc, sont ironiquement ceux que tous seraient tentés à première vue de prendre pour leurs concurrents directs !! En effet, nos musiciens ont le choix entre consacrer leurs énergies à se mener une guerre sans merci pour quelques dates & cachets locaux, ou bien collaborer, joindre des talents & compétences complémentaires, pour viser des gigs internationaux. Plus nombreux nous serons à être rémunérés en $ ou €, plus nombreux seront nos compatriotes rémunérés décemment en Dhs.

 

Il nous revient – comme une mission – de nous donner les moyens de vivre de la musique au Maroc, car ce n’est qu’en ayant des musiciens en exercice, des cerveaux qui pensent ‘musique’ les ¾ de la journée – fût-ce auprès d’enfants – plutôt que stresser 8-10 heures dans un centre d’appel ou tout autre « vrai » job, que nos héritages musicaux trouveront voix qui leur fasse passer la fracture numérique. Il nous revient de revendiquer l’espace de nos identités musicales sur la carte du monde. Il ne nous sera pas accordé. C’est parce que nous aurons su faire le bon bruit, au bon endroit, au bon moment, que l’on viendra étudier nos racines, patrimoines & héritages musicaux, que nous serons conviés à les présenter par les conservatoires du monde entier. Pas juste nos antiques “m3almine décatis & entarbouchés” (affectueusement), mais nos jeunes artistes pertinents également… & – tant que nous y sommes – quelques impertinents pour faire bonne mesure !! Il nous revient d’assimiler les formes & normes en usage afin de s’en servir comme vecteurs de nos patrimoines culturels, habilement tissés à même la trame de nos messages artistiques respectifs, lorsque cela s’avère heureux. Maîtriser ces formats internationaux au point que, sans effort ni volonté particuliers, notre âme nord-africaine puisse s’y mirer & s’y fondre avec nature & sens.

 

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